Nuit d'Orage [Méléagant + Libre]

Une nuit d’encre s’était abattue sur Camelot. La Galante était toujours animée, diffusant sur la rue une chaude lumière par ses fenêtres encrassées. Les villageois semblaient s’être passé le mot ce soir, parlant à voix basse, préférant ne pas mesurer leurs rires au lourd silence. Un peu à l’écart de la ville, l’église était également silencieuse. Le clocher était une ombre menaçant dans la nuit, immobile, immense. Les lourdes portes de bois humide étaient closes. Une lumière vacillante s’échappait pourtant par les embrasures, fissurant la nuit comme de faibles éclairs.
Au loin, un cavalier contourna Camelot, pour se diriger vers l’église. Le cheval n’était pas lancé au galop, mais même à cette distance, il semblait apporter une funeste noirceur. Une brutale rafale de vent fit claquer la cape du cavalier qui descendait de sa monture, arrêtée près de l’édifice. Les rênes furent attachées à une rambarde de bois branlante qui menaçait de basculer au moindre à-coup. La bête était nerveuse, mais n’osait donner de coup de tête pour se libérer. Le cavalier sans visage s’éloigna, marchant résolument vers les portes, qu’il n’eut aucun mal à entrouvrir. Il pénétra à l’intérieur, le battant se refermant lentement derrière lui, dans un grincement sinistre.

_ La maison de votre dieu est toujours ouverte, paraît-il, annonça une voix claire.

Le prêtre, alors derrière l’autel, procédant à la mise en place de la messe qui aurait lieu le lendemain matin, semblait-il, sursauta. En même temps, un éclair fendit l’air, quelque part, éclairant l’église comme en plein jour. L’air sec s’alourdit un peu plus, l’orage serait bientôt là. Le cavalier sans visage s’avança dans l’allée centrale, calme, patient. Une main blanche, froide, s’extirpa du revers de la cape pour venir faire glisser la capuche en arrière, révélant le visage tendre d’une jeune dame. Une demoiselle, qui n’avait rien d’effrayant. Et pourtant, le prêtre savait que, dans la maison de son dieu, venait de pénétrer l’incarnation diabolique de ses peurs les plus secrètes. Et il savait pourquoi. Pourquoi maintenant, pourquoi lui. Mélusine continua son avancée, profitant de chaque émotion qui passait sur le visage du prêtre. Jusqu’à ce que, enfin, il la reconnaisse.
_ Toi…
Elle eut un sourire ravi.
_ Tu n’étais encore qu’un enfant, lorsque sans réfléchir tu offris la vie d’une fugitive… contre quelques pièces.
_ Impossible. Ton corps, ton âme… tout a disparut !
_ Le feu ne saurait prendre une vie comme la mienne, Monseigneur… ou dois-je vous appeler mon père ?
_ Recule !

Elle s’arrêta. L’expression de terreur pure qui déformait le visage de l’homme était plus que suffisante, pour le moment. C’était lui, qui quelques décennies plus tôt, l’avait trahit, tandis qu’elle tentait d’échapper aux hommes. Par sa faute, elle avait finit sur un bûcher, et ce ne fut pas l’événement le plus agréable de son existence. Il avait émigré dans ce pays, sans savoir qu’elle avait survécu. Et, aujourd’hui, par un concours de circonstances et d’étrangers hasards, elle l’avait retrouvé. A bien y réfléchir, peut-être Morgane n’était pas étrangère à cela. Mélusine se souvenait lui avoir parlé de ses envies de vengeance, à une occasion. Et voilà qu’aujourd’hui, contre toute attente, elle avait la possibilité de faire expier son crime à celui qui se proclamait homme de vertu. Celui-ci avait finit par admettre l’idée que ce n’était pas une hallucination, qu’elle était bel et bien revenue vivante, et il brandissait devant lui un crucifix en bois. Mais il n’y croyait pas, c’était évident. Les nouvelles croyances sont si faibles face à l’ancienne magie.

_ Ce soir, je ne suis pas seule vieil homme. Ma vengeance attendra que j’aie obtenu de toi ce que pourrait désirer ma Maîtresse.
Il la regarda sans comprendre.
_ Tu possèdes une clé, capable de faire voyager son possesseur jusqu’à la Pierre de Fal et de l’en ramener.
Et cette pierre, qui reconnaissait les véritables rois, pourrait être nécessaire pour permettre à Mordred d’accéder au trône. Au loin, le hennissement d’un cheval se fit entendre. Elle avait réussit à devancer Méléagant en prenant un raccourci qu’il ne connaissait pas. Mais il avait été plus rapide que prévu.
_ Celui qui arrive n’est pas être magnanime, vieil homme. Il n’a pas ma patience ni ma douceur.
Elle s’était arrêtée à presque deux mètres de l’autel. Le prêtre brandissait toujours le crucifix, mais il connaissait ses chances. La haine de l’enchanteresse était palpable. Son seul atout résidait dans la clé de Fal, qu’il possédait effectivement, et dont il était seul à connaître l’emplacement. Et c’était un atout bien mince. Enfin, il abaissa légèrement le crucifix, fixa Mélusine avec ce qui semblait être la plus étrange des compassions.
_ Tu es morte, je t’ai vu… tu étais morte.

Mauvais timing ; Méléagant avait tout entendu. L’enchanteresse évita son regard surpris, ne se sentant redevable d’aucune explication, peut-être soucieuse également de ce que pourrait provoquer cette information chez son compagnon. Ce n’était pas le genre de détail qui vous rendait sympathique. Elle préféra donc éviter de répondre aux questions muettes du chevalier, concentrant un regard menaçant sur le prêtre. Quelques mots de Méléagant suffirent à rendre le pauvre homme plus terrifié encore. Ses chances s’amenuisaient de secondes en secondes. Il ne trouvait aucun réconfort, ni la moindre protection, dans le fait d’être attaqué dans la maison même de celui qu’il adorait avec tant d’abnégation. Il était perdu. Mais n’était-ce pas juste retour des choses, d’une certaine manière ? Il fit un pas vers Mélusine, abandonnant son arme symbolique.
_ Je ne pensais pas qu’ils feraient une telle chose… C’était abominable… je regrette… je regrette tant… Je me suis fait serviteur du juste afin d’obtenir le pardon…
Un rapide regard soucieux vers son compagnon. Elle ne voulait pas qu’il entende cette conversation, c’était inutile. Mais il semblait bien attaché à sa haine évidente envers cette nouvelle religion, à tel point que, peut-être, il passerait outre les mots étranges échangés entre Mélusine et le vieil homme.

_ Il suffit. La clé de Fal. C’est tout ce que nous voulons.
_ La pierre de Fal n’est qu’un vieux mythe… alors une clé… non, je ne possède rien de tel. (Là-dessus, c’est le regard de Méléagant qu’il accrocha, avec l’assurance offerte par sa foi) Toutes les souffrances que vous m’imposerez ne me feront avouer une chose pour laquelle j’ignore tout !
Mais il y avait une faille à toute assurance aveugle ; l’homme regretterait bientôt sa témérité.
_ Nous brûlerons ton église.
Il lui suffisait d’écouter la respiration du chevalier sombre à ses côtés, pour savoir qu’il en mourrait d’envie. Sa haine envers le culte était intrigante ; avait-il une histoire commune avec ce nouveau dieu ? Elle n’était peut-être pas seule ce soir à voir ressurgir quelques vieux démons du passé. L’attitude du prêtre avait changé. Il avait mis de longues années pour voir apparaître une église à Camelot. Il s’était battu pour cela, et se désespérait pas, chaque jour, de ramener plus de fidèles à sa cause. Permettre que l’église soit brûlée, détruite, qu’il ne reste que des cendres et de la poussière de toutes ces années d’efforts et de sacrifices… C’était au dessus de ses forces.

_ Pourquoi des êtres tels que vous, voudraient obtenir la Pierre de Fal ?, demanda-t-il enfin, mettant le plus de distance possible entre les traîtres et sa carcasses. Un milliers d’autels ne suffiraient pas à le protéger.
_ Elle sait reconnaître les véritables souverains, les âmes capables de diriger des nations, les héritiers de longues et prestigieuses lignées. Nous en aurons bientôt besoin, pour asseoir le pouvoir de celui qui montera bientôt sur le trône.
_ La Bretagne a déjà un roi ! ... Vous ne trouverez rien.

Et en plus, il était du côté d’Arthur. Toutes les tares. Dehors, l’orage se rapprocha. A présent, il était certain que personne n’entrerait dans l’église par hasard, sauvant le prêtre d’un destin funeste. A moins que quelque voyageur de choisisse la sécurité d’un lieu saint, pour se reposer le temps de l’orage. Peu importe, ce serait bientôt terminé. Les capacités télépathiques de Morgane auraient été d’un grand secours. Ils n’avaient guère de temps pour torturer comme il se doit le vieil homme.
_ Tu l’as caché dans la crypte, n’est-ce pas ? Vous pensez toujours que les morts sont de bons gardiens. … Idiots.
Le prêtre s’agita. Il tenta d’empêcher Mélusine d’avancer, mais elle avait déjà disparut par les escaliers menant à la crypte, à la droite de l’autel. Elle n’eut aucun mal à forcer la grille, et commença alors à inspecter les lieux. Inutile d’ouvrir toutes les tombes. Il lui suffisait de voir lesquels avaient été ouvertes récemment, en vérifiant les traces de poussières. Les empreintes au sol également, pourraient lui être utiles. Au bout d’un moment cependant, puisqu’elle n’obtenait aucun résultat :
_ Il n’y a rien !
Elle espérait que Méléagant l’ait entendu. La pierre pouvait très bien avoir bloqué sa voix, comme l’avoir amplifiée. Elle continua de chercher, un peu de zèle ne faisant pas de mal, espérant que le temps de revenir en haut, son compagnon ait su faire parler le prêtre.

La crypte était silencieuse. Quoi que soit en train de fabriquer Méléagant à cet instant, elle n’en percevait rien. Continuant d’inspecter les tombes, simplement pour être certaine, elle ne récolta qu’une odeur de putréfaction et la certitude qu’un culte qui utilisait des symboles si simples ne survivrait jamais plus de quelques décennies. Ça n’avait rien d’esthétique, ces crois toutes vides. Elles n’inspiraient ni la crainte ni le respect. Mais peut-être était-ce parce que l’enchanteresse en savait bien peu sur le culte en question. Il faudrait qu’elle pense à poser des questions à Méléagant, bien plus calé semblait-il sur le sujet. Et ce serait amusant de voir sa réaction (s’il n’avait pas d’arme à portée de main). Tout en imaginant Méléagant piquer une de ses légendaires colères, elle remonta les escaliers, certaine que son compagnon n’avait pas encore écourté les jours du prêtre. Allez savoir pourquoi, elle perdit toute contenance lorsque, arrivant dans la nef, elle vit l’éclat d’une lame contre la gorge de son vieil ennemi. Elle poussa un cri bizarre, une telle démonstration ne lui ressemblant pas vraiment, lâcha la torche qui lui avait éclairé la crypte et courut jusqu’aux deux hommes lâcha la torche qui lui avait éclairé la crypte et courut jusqu’aux deux hommes.

Elle avait perdit toute retenue, tout sens de la nuance. Preuve en est que, lorsqu’elle arriva jusqu’à eux avant l’issue fatale, l’enchanteresse se laissa presque tomber à terre pour retirer prestement l’arme du cou du prêtre. Dans le même geste, ne se contrôlant plus vraiment, elle asséna une gifle violente à Méléagant. Certes, ce n’était pas vraiment un coup douloureux, ou qui pourrait ébranler un tel chevalier, mais elle l’aurait regretté aussitôt si la folie n’avait pas obscurci son jugement à ce point.

_ Sa vie est à moi, siffla-t-elle d’une voix étrangement maîtrisée, en telle contraste avec son attitude.

Elle tremblait, ce qui lui arrivait rarement. Jamais. Elle sa laissa complètement glisser à terre, le souffle court. Rester saine d’esprit se révélait plus difficile que prévu. Pendant une seconde, elle avait cru perdre la vengeance espérée depuis des décennies. C’était plus que sa raison bancale ne pouvait en supporter. Quelques secondes de plus furent nécessaires pour qu’elle retrouve un semblant de calme. Evitant de regarder Méléagant, qui devait à cet instant la dévisager avec toute la haine possible, elle écouta la respiration du prêtre. Il s’était calmé, lui aussi. Lentement, il leva la tête vers l’immense croix derrière l’autel. Alors, c’est ce qu’il avait essayé de dire… L’enchanteresse se leva, dissimulant son équilibre précaire par une prise puissante sur le marbre de l’autel. Elle leva la main, la fit glisser le long du bois de la croix, tapotant par endroit, jusqu’à déceler une étrangeté. Une cache secrète ; juste là, sous leur nez. En faisant glisser le petit panneau de bois, en prenant ce qui s’y dissimulait, en déroulant le tissu qui contenait l’objet de leur visite, elle ne vit pas le sourire du prêtre.

Le tissu ancien finit se dérouler ; tomba alors dans la main de l’enchanteresse un bout de verre, plus ou moins rond, cerclé de corail. La clé. Leur soirée n’était pas perdue. Ils pourraient ramener à Morgane un avantage stratégique indéniable, et n’auraient plus à craindre ses sautes d’humeur pendant des mois. Puis, brusquement, le verre s’échauffa. De plus en plus, non pas jusqu’à brûler la peau de Mélusine, mais jusqu’à… fondre. Se désintégrer, juste sous ses yeux. Et elle ne pouvait rien faire !… Le rire du prêtre enfla dans l’église. Il le savait.
_ La clé ne saurait survivre à la main du mal ; seule l’innocent pouvait en user.
Le silence retomba, sitôt que le dernier filet de voix mourut. Elle se serait jetée sur le vieil homme pour lui arracher la tête, si ses jambes ne s’étaient pas dérobées à ce moment là. Elle se traîna de quelques centimètres, jusqu’à reposer contre le socle de la grande croix, le visage baissé, clos.

_ Je t’en prie… amène-le dans la crypte… enferme-le dans une tombe… que son agonie soit longue, que ses cris restent sans réponse.

Un simple murmure. Destiné à Méléagant. Elle ne savait pas s’il l’avait entendu. Et, dans le cas où il aurait entendu sa demande, s’il accepterait de la réaliser. Cet endroit l’avait rendu fou, c’était évident. Et le comportement de sa compagne d’infortune n’avait pas dû arranger son humeur. Peut-être même déciderait-il de quitter l’église en laissant la faible enchanteresse derrière, ou même de brûler l’endroit. Le propre d’un tempérament imprévisible.

La clé était réduite en poussière. Et cette poussière s’était incrustée dans la peau de Mélusine, malgré les tentatives répétées de celle-ci pour l’en déloger. La priorité était de cacher ce fiasco à Morgane. Un artefact de cette importance, perdu par négligence… c’était pourtant d’une telle évidence ! Elle aurait dû se douter que la clé était piégée. Idiote. Etrangement, cette nouvelle défaite l’avait abattu plus que jamais. Méléagant avait raison de n’accorder que peu d’importante à la perte de la clé, mais c’était sans doute pour Mélusine le fiasco de trop. Elle se sentait plus exténuée que jamais, n’aspirant jamais qu’au réconfort silencieux d’un lac. Mais ce ne serait pas pour tout de suite. Abandonnant l’idée de faire disparaître la poussière brillante de sa paume, elle se détendit et leva la tête vers le plafond. Joli. Elle n’avait pas remarqué toutes ces dorures et ces sculptures entrant. Des artistes talentueux s’étaient attelés à la tâche.
Le plafond n’était pas si haut, mais il lui donnait le vertige. Chose qu’elle ne ressentait jamais. Tiens, et si cette satanée poussière était empoisonnée ? Et si elle était en train de mourir ? Ce serait diablement ironique… cinquante ans plus tard, ce fichu moine réussissait son coup. Pensive, elle leva la main et continua de regarder le plafond entre ses doigts, fermant un œil. Très joli. Où en était Méléagant ? Il avait disparut depuis un moment maintenant. S’était-il finalement enfui ? Elle n’était pas en état de le poursuivre, là tout de suite.

Et puis, des bruits de pas. Elle n’eut pas à tourner la tête pour mettre un nom sur celui qui revenait en vie de la crypte. Elle sourit lentement, avec un certain calme, une douceur certaine. Savoir le prêtre en vie, juste en dessous d’eux, faisait disparaître ses peurs anciennes et revenir au galop sa bonne humeur. Mélusine reviendrait lui rendre visite, la nuit prochaine. Et la nuit d’après. Elle l’écouterait griffer la pierre de désespoir et gémir, se promettait d’entendre distinctement son dernier souffle, lorsque la faim, la soif ou l’air putride aurait raison de lui. Perspective qui finit de la réjouir.
La pluie, au dehors, avait commencé à tomber, de plus en plus fort. Son martèlement couvrait presque le tonnerre lointain. L’air était plus lourd. Une odeur d’herbe humide ne tarderait pas à l’envahir. Tandis que l’atmosphère se déchirait, l’enchanteresse sembla décidée à retrouver un semblant de raison. Son abattement avait été provisoire, semblait-il. Tout était temporaire.

_ Il faudra éviter de partager avec qui tu sais les événements de cette nuit.

Morgane leur casserait quelques côtes contre le premier pilier venu, si elle venait à savoir. Ou pas. Après tout, il ne fallait pas sous-estimer la patience de l’enchanteresse. Un œil toujours clos, elle tourna la tête vers Méléagant, appuyé contre un pilier. Il attendait patiemment. Il l’attendait. Un instant, elle s’imagine tendre les mains vers lui avec une moue boudeuse pour qu’il l’aide à se relever, mais aussi amusante parut l’idée, elle l’abandonna. C’était Méléagant allons, il allait tourner les talons et lui dire de galoper plus vite si elle voulait le rattraper. Il lui fallut donc se relever seule, comme une grande fille.
Le chemin pour revenir au château avait un passage escarpé. La pluie le rendrait assurément dangereux, surtout si elle continuait plus d’une heure. Son compagnon devait forcément s’en être rendu compte. C’était d’ailleurs peut-être pour ça qu’il n’était pas encore parti. Pour sa part, voyager sous la pluie ne posait aucun problème, au contraire, mais s’ils risquaient leur vie, c’était ridicule. Elle refusait de mourir aussi bêtement. Tout en commençant à fureter de-ci de-là à la recherche d’objets de valeur, elle s’adressa au chevalier.

_ J’imagine que tu n’as conservé aucune connaissance amicale dans la région, qui pourrait nous offrir un toit pour la nuit. Rentrer maintenant dans ces conditions serait une prise de risques inutile. … Peut-être que l’Auberge Noire… mais il faudrait partir avant le lever du soleil demain, pour rester discret… à moins de trouver quelque abri dans la forêt.

Oh, un collier. Or véritable, apparemment. Et une coupe incrustée de pierreries. Et même, à bien chercher dans cette petite cache sous l’autel, d’autres objets d’une valeur qu’elle estimait tout à fait convenable. Posant le tout sur l’autel (ses trouvailles étaient pour le moins hétéroclites, mais elle semblait avoir justement jugé de leur valeur), elle entreprit de faire le partage (après tout, ils étaient deux), pendant que Méléagant réfléchissait à la meilleure alternative. Bien évidemment, le plus subtilement possible, elle s’attribua des objets d’une valeur nettement plus haute, plaçant du côté de Méléagant une riche étoffe, un gobelet et une dague… quelle petite fourbe.

Mélusine regarda les clés qui reposaient dans sa paume avec le sourire d’une enfant ravie. Quel agréable cadeau. Il savait ce qu’elle en ferait. Et cela rendait le geste d’autant plus agréable aux yeux de la demi-selkie, qui ne montra pourtant de sa reconnaissance d’un mince sourire. Plus tard, tandis qu’elle regardait son compagnon remonter l’allée, elle eut brusquement la très nette certitude qu’ils finiraient mal ; que toute cette histoire finirait par les détruire. Le lot de toute guerre, n’est-ce pas ? Etrange sensation, mais elle n’en perdait pas sa légèreté nouvellement retrouvée pour autant. Ce n’était pas une conviction pareille qui allait l’abattre. Faisant un pas sur le côté, elle eut le loisir de lire la lettre de Méléagant, et eut une moue appréciative.

C’était parfait. Personne ne songerait à chercher le prêtre. Enfin, à juger de l’état de la paroisse, elle doutait que quiconque soit devenu un habitué des lieux et connaisse assez le visage du prêtre pour décider de le rechercher, mais sait-on jamais. Ah, il ne fallait non plus croire à un cambriolage. Laissons donc un objet de valeur… ah, cette petite amulette fera parfaitement l’affaire. Pas de grande valeur. Elle la laissa sur la lettre factice, prit le reste de « ses » biens, et suivit aussi Méléagant, trottinant le long de l’allée, oubliant de remettre sa capuche tandis que les lourdes portes se refermaient dans son dos et qu’une trombe d’eau se déversait sur sa tête.

Tout à coup, son humeur sembla beaucoup moins bonne. Le visage mauvais, elle enfourna les biens dans la sacoche accrochée à la selle de son cheval et détacha celui-ci avant de monter. Une fois en selle, elle installa enfin sa capuche… qui n’était plus d’aucune utilité. Restait à trouver Méléagant. Bien sûr, elle aurait pu utiliser ses pouvoirs pour dévier la pluie et empêcher qu’elle ne l’atteigne. Mais… cet acte purement inutile lui aurait demandé une grande quantité de ses pouvoirs. A dire vrai, elle n’était même pas sûre d’être assez forte pour réussir. Mieux valait donc consentir à être trempée. Après quelques mètres, elle finit par retrouver Méléagant. Galant, il semblait avoir ralentit le pas pour l’attendre.
Ou alors, c’était le manque de visibilité qui l’avait obligé à ralentir. Ils cheminèrent ainsi pendant ce qui sembla être une éternité, jusqu’à ce qu’enfin les sabots de leurs chevaux fassent écho à des pavés. D’un accord tacite, ils s’arrêtèrent à une cinquantaine de mètres de l’auberge Noire et installèrent leurs chevaux dans l’étable d’un autre établissement. Ce serait plus discret. Restait enfin à traverser la salle éclairée de l’Auberge Noire en espérant qu’aucun chevalier du Roi n’ait eut la bonne idée de venir s’y délassé.

_ Il vaudrait mieux que tu demandes… ce serait suspect, si c’était une femme, dit-elle à l’attention du traître, avant de pousser la porte de l’Auberge.

Allez savoir pourquoi. Les temps n’étaient pas au féminisme.
Elle fit pleuvoir sur le parquet de l’eau glaciale entre la porte et le comptoir du fond, où Walgrim Redcap faisaient ses comptes du jour.

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