Comme le pensait Morgane, Accolon était... totalement perdu.

Outre la chevelure blonde qui n'était pas à son goût, outre le fait que Morgane le sépare de son casque et outre le fait que la Fée s'amusait à le déplacer (car Accolon, en homme rationnel et concret, aimait bien marcher dans un sens), ce qui irritait passablement Accolon, c'était le fait de ne plus comprendre la situation.

Il en vint à se demander pourquoi il avait suivit la Fée, avait-elle seulement besoin de lui pour cela à vrai dire ? Pour quelqu'un qui aimait, que dire, qui avait pour art de planifier des stratégies, voir ses plans chambouler était quelque chose d'extrêmement désagréable. Que cela soit l'élément perturbateur soit la Fée ou n'importe qui d'autre, la seule différence étant que le "n'importe qui d'autre" aurait préféré ne pas être né dans la seconde tellement Accolon l'aurait broyé.

Mais la Fée avait parlé. Accolon ne fit que serrer son poing de colère, ne laissant aucune émotion transparaître sur son visage. Non pas qu'il se préoccupait de la réaction de Morgane, mais il n'avait surtout pas envie d'afficher des hésitations ou changement de plan aux yeux des paysans. Morgane et Accolon devait incarner la fatalité en ce soir, et la fatalité ne connait pas de détour.

La Fée et le Chevalier s'éloignèrent de quelques pas, assez pour pouvoir discuter. Accolon ignora superbement le sucre - supposées réjouissances et autres récompenses - que lui proposait Morgane "s'il suivait le plan à la lettre". Accolon n'avait même plus d'intérêt pour ces stupides paysans à trucider, en supposant qu'il en ait eu un à la base. Tout ce qui l'importait était justement de savoir quel était le plan de Morgane, et il mit toute sa volonté à ne pas hurler cette question.
Accolon préféra attendre un moment et retrouver un semblant de calme avant de demander à la Fée ses intentions.

- J'agis selon tes désirs. Qu'est-ce que tu comptes faire et qu'est-ce tu attends de moi ? La rage du Chevalier était retombée, et sa voix était celle d'Accolon l'homme en campagne, l'esprit clair et affuté.

Morgane arborait toujours son petit sourire, tournant le dos aux paysans, face à la mer. Sentant qu'Accolon n'était pas ravi et même carrément énervé par le changement, elle posa la main sur son poing gantelé et se tourna pour lui faire face. Ses cheveux reprirent une couleur plus foncée, brun-roux tandis qu'elle lui parlait, essayant de l'apaiser.

- J'agis selon tes désirs. Qu'est-ce que tu comptes faire et qu'est-ce tu attends de moi ?

# Il fut un temps où tu aurais apprécié ta récompense, ou, en tout cas, aurais souri, montré un vague enthousiasme.

Lui caressant la joue, sous les yeux mais pourtant invisibles aux villageois, elle essayait de réfléchir à la mise en place de son nouveau plan. Malgré ses pouvoirs divers, elle n'aurait su dire à l'avance la réaction d'Accolon. Elle sourit, perdue dans ses pensées, essayant d'imaginer, mais en vain. Il savait être imprévisible, ce qui n'était pas toujours agréable. Sauf, évidemment, lorsqu'ils étaient seuls...

Les yeux de Morgane se mirent à briller d'une lueur étrange et elle se décida à lui avouer :

# Lorsque je dis "laisse-leur la vie sauve", je veux dire... pour l'instant. Tes mérites d'ici ne seront pas reconnus comme tiens, sauf par Mélusine, Méléagant et moi. Quand j'en aurai fini avec le mioche, ils me prendront pour leur sauveur et me livreront les autres porteurs du village sur un plateau. Ensuite, quand nous serons partis, la malchance ou le mauvais sort -Morgane ricana à l'idée - voudra qu'ils soient tous tués par des "chevaliers de la Table Ronde", chevaliers envoyés par Merlin, bien sûr. N'est-ce pas malheureux?
Arrange-toi seulement pour laisser un dernier souffle au porteur de onze ans. Que son frère le voit sain d'esprit et qu'il fasse le rapprochement avec Merlin. Lors, il réclamera vengeance. Ayant oublié mon étole ici, je reviendrai la chercher et offrirai au jeune l'opportunité de se venger. C'est un sanguin, Accolon, il sera une bonne recrue, et sa rage décuplera ses forces. Il voudra venger sa famille et j'aurai un nouveau chevalier potentiel. Toi et moi... Nous pourrons massacrer le village et festoyer ensuite.

La magicienne pencha la tête sur le côté et remit une mèche de cheveux, noirs à présent, derrière son oreille. Elle sourit au chevalier, complice. Il savait qu'il pourrait changer des éléments, améliorer le plan, mais Morgane et lui savaient parfaitement qu'ils avaient besoin de sang neuf dans leur équipe.
# Des questions?
　

Morgane posa le bout des mains sur les tempes du jeune garçon, le calmant tout à fait. Elle précisa à la mère, qui avait senti son fils s'affaisser contre elle.

# Ne vous inquiétez pas. Je ne l'ai qu'endormi. Il se réveillera dans peu de temps, aussi sain d'esprit qu'avant que Merlin ne lui donne ce médaillon. Pour plus de sécurité, je vais emporter ce pendentif avec moi, si vous le voulez bien.

La voix douce de Morgane, voix qu'Accolon ne devait pas lui connaître, rassura les paysans. Mais comme son chevalier le savait, la douceur chez l'enchanteresse dissimulait souvent une traîtrise ou autre chose. Elle se tourna vers la grand-mère et lui prit doucement les mains, et, l'ayant endormie elle aussi, elle détacha lentement le médaillon du cou ridé. L'homme semblait plus récalcitrant à la laisser approcher, mais ne disait rien, roulant juste des yeux fous, et ne fit rien pour l'empêcher. Sans doute aussi parce que chacun de ses bras était maintenu par des villageois.
Morgane le regarda droit dans les yeux et s'approcha lentement, voulant éviter qu'il ne se mette à hurler et à effrayer tout le monde. Petit à petit, le pouls du pêcheur ralentit et il se calma tout à fait, penchant la tête sur le côté. Endormi lui aussi. La magicienne détacha le pendentif de son cou et le mit dans la bourse de cuir attachée à sa ceinture, dans laquelle elle avait déjà déposé les deux autres.
Un léger bruit la fit se retourner vers la droite. Le garçon se réveillait petit à petit. Morgane revint vers lui, il allait bien. Elle sourit à la population et donna 5pièces d'or à chacune des familles de porteur de médaillons. A la mère du garçon de onze ans qui s'étonnait et qui disait que ça aurait plutôt été à elle de payer, Morgane répondit en souriant :

# Ne me remerciez pas. Merlin n'est pas quelqu'un de bien, et si je peux faire quoi que ce soit qui lui soit désagréable, je le fais sans hésiter.

Seul Accolon pouvait percevoir le double-sens des paroles de Morgane, et elle sourit d'autant plus, frémissant d'un plaisir teinté d'excitation rien qu'à l'idée de ce qui s'annonçait. Morgane recula vers Accolon, toujours avenante envers les paysans. Elle sentit son souffle lui chatouiller la nuque tandis qu'elle sortait d'une autre bourse une pièce rouge, trouée au milieu et la lançait au garçon de onze ans.

# Si Merlin revenait ou faisait quelque chose de même envergure ou de pire que ce qu'il a déjà fait, serre fort la pièce entre tes doigts. Je reviendrai le plus vite possible, d'accord? Je dois partir, mais je repasserai dans la semaine.

Elle entraîna Accolon en le prenant par le coude, avançant à reculons, souriant aux familles, faisant signe de la main. Elle se retourna vers Accolon et grinça entre ses dents :
# On va à la lisière du petit bois.

Les deux talonnèrent leurs montures et arrivèrent au terrain boisé rapidement. Ils descendirent de leurs chevaux et Morgane se pencha pour cueillir une touffe d'herbe. Elle la souffla en direction d'Accolon, et petit à petit, ses traits se brouillèrent pour se re-stabiliser en un autre visage. Gauvain d'Orcanie.
Elle ferma les yeux un instant, et, les rouvrant, réussit à voir Accolon. Elle se colla à l'arbre de derrière et attira son amant à elle. Même si elle savait que rien ne leur arriverait, le danger potentiel et l'idée d'un combat lui chauffaient toujours le sang. Elle se laissa embrasser, caresser, lui rendant les mêmes en moins audacieux, avant de le repouser doucement mais fermement, pour se changer à son tour.

Elle ferma les yeux, respira un grand coup, et, lorsqu'elle les rouvrit, elle avait pris l'apparence du jeune Tristan de Lionesse, arrivé à Camelot la veille. Elle regarda ses mains et toucha les plumes des flèches dans le carquois. Elle banda l'arc, le vérifia et grimpa sur son cheval, qui lui aussi avait changé d'apparence. Elle avait aussi pris leurs montures. Morgane monta en selle et se tourna vers Accolon-Gauvain.

# Raté, je préfère tirer à l'arc. Mes flèches seront naturellement plus précises et plus puissantes que les siennes. Sans doute aussi parce que je les ai empoisonnées, il est vrai...
Tu es prêt? demanda-t-elle en encochant une première flèche à la corde, avant de donner un coup de talons à son cheval.
　

A quelques mètres du village, Morgane-Tristan décocha sa première flèche, qui alla se ficher entre les deux omoplates d'un enfant de 5ans qui courait vers sa mère. Celle-ci le rejoignit peu après, arrêtée dans sa course par une autre flèche, dans l'oeil, cette fois. Morgane armait et bandait son arc pour tirer plus vite que quiconque, visant à peine avant de lâcher la fine corde. Elle décochait, flèche après flèche, sorte de fée vengeresse, belle et impitoyable. Enfin, vengeur, beau et impitoyable, vu qu'elle avait l'apparence de Tristan.
Elle s'arrêta un instant de tirer pour talônner son cheval et traverser le village, sous les regards incompréhensifs des habitants.
Arrivée de l'autre côté, elle recommençait à armer pour tirer un vieil homme quand son regard fut attiré sur la droite. Quelqu'un se cachait, et essayait en tremblant d'aiguiser une épée, avant de sortir dans la rue, visant Accolon-Gauvain. Rien ne pouvait lui arriver - Morgane avait quand même pris ses précautions - mais elle se détourna à temps pour abattre l'audacieux.
　
- SILENCE GUEUX ! Tu n'as PAS DROIT de parole face à un Chevalier de la Table Ronde ! Vous avez TRAHI votre ROI et votre ENCHANTEUR ! JE SUIS LA JUSTICE DE MERLIN ET D'ARTHUR, venu PURIFIER PAR L'ACIER ET PAR LE FEU cet endroit perverti ! VOS MISERABLES EXISTENCES S'ACHEVENT CE SOIR !
　
Morgane se retint d'éclater de rire et leva simplement les yeux au ciel, amusée, avant de sortir une dague de sa botte et de la lancer, vive comme l'éclair, dans l'oreille d'un gamin qui se collait aux murs pour ne pas se faire voir, espérant échapper au massacre. Elle tourna la bride de son cheval et le dressa pour piétiner une femme qui traversait la rue en hurlant de terreur.
Elle reprit son arc et, après avoir fiché une autre dague sur la main d'un homme d'environ son âge, elle l'acheva d'une flèche en plein coeur. L'homme était mort avant de toucher le sol. Voulant s'amuser un peu plus, Morgane sauta de cheval et sortit deux courtes épées, que, prises en main, elle fit tourner pour frapper les habitants qui se tenaient à proximité. Le sang giclait de partout, et, quand elle eut fini, elle retourna s'occuper du petit vieux qui avait eu droit à un sursis involontaire, prenant son temps pour le finir. Lorsqu'une autre giclée de sang vint couler sur sa joue, elle l'essuya du revers de la manche d'un air satisfait, et regarda Accolon se battre, enfin, les battre. Il était déchaîné, et broyait tête après tête, os après os, vie après vie.
Les quelques habitants encore en vie se terraient dans leurs maisons, espérant que les chevaliers de Camelot ne viendraient pas les y chercher. Morgane bloqua la toute petite demeure et regarda Accolon-Gauvain. Lui aussi maculé de sang, il avait continué le massacre quand elle l'attendait pour entrer dans la maison. Elle compta ses morts à lui. 3...7 et 2 neuf. Pas mal. Mais, d'habitude, il faisait mieux que ça. L'archère lança à son compagnon :
　
# Alors Gauvain, tu n'es pas en forme on dirait ! Seulement 12? J'en ai déjà eu.... - elle compta ses cadavres - 14, tu te ramollis, dis donc !
　
S'il y a avait bien une chose qu'Accolon n'aimait pas, c'était être blessé dans son orgueil de mâle, et, comme tous les hommes, il tenait beaucoup à sa fierté. Morgane le savait, et elle adorait le titiller. Elle lui sourit et ajouta, goguenarde :
　
# Allez, je te laisse te rattraper... Les survivants sont dans la maison, ils ne sont plus que 4.
　
Elle avança à sa rencontre et lui dit à l'oreille :
# Ne traîne pas trop. Les autres sont en chemin.

"Tristan" remonta en selle peu de temps après que "Gauvain" était entré dans la maison. Morgane entendit les cris, et se retint d'éclater de rire, avec difficulté, d'ailleurs. Pourquoi les humains, quand ils mouraient, se sentaient-ils toujours obligés de hurler? Mmmm...Peut-être à cause de la douleur, c'est vrai.
Les deux faux chevaliers venaient de quitter le village au moment quand l'adolescent montait la petite pente qui menait au village. Ils retournèrent au petit bois, invisibles aux yeux de quiconque passerait alentours. Morgane regarda Accolon descendre de sa monture, la tunique blanche et l'armure devenues rouges, les bords légèrement roussis par les flammes du feu qu'il avait déclenché. Elle passa sa main sur sa nuque, et la découvrit pleine de sang. Heureusement que les vêtements n'étaient pas les siens... Elle soupira puis descendit à son tour de sa monture.
Elle ferma puis rouvrit les yeux : Accolon et elle avaient repris leurs vraies apparences et vêtements. Mais le sang qu'elle avait sur la nuque était toujours là.
Morgane jeta un oeil rapide aux habitations ravagées. L'adolescent arrivait à peine au village, ils avaient un peu de temps devant eux. De toute façon, il allait d'abord chercher des survivants. Morgane avança entre quelques branches et vit un gros rocher. Elle sourit, posa la main dessus et gratta la terre du bout du pied. Elle se recula de quelques pas et murmura des mots dans une vieille langue incompréhensible à Accolon. Le petit trou creusé devint un petit bassin rempli d'eau ; elle s'avança. Elle dégrafa le haut de sa tunique et se pencha, s'agenouillant au bord de l'eau, enjoignant Accolon à faire de même. Il fallait qu'ils se nettoient du sang des villageois. Morgane joignit ses mains pour en faire une coupe et prit de l'eau pour se laver du liquide poisseux à moitié coagulé.
Ayant fini, elle se redressa et rattacha sa tenue pour se tourner vers Accolon. Il était temps. Le petit frère venait de donner la pièce trouée à l'aîné en lui demandant de les venger de Merlin et des Chevaliers de la Table Ronde. Morgane remonta en selle et installa d'elle-même Accolon sur son cheval. Elle savait qu'il n'aimait pas trop ça, mais la magicienne voulait arriver assez vite et il prenait trop de temps.
Galopant côte à côte, ils se mirent au pas à l'entrée du village. Là, Morgane sauta de sa monture et se précipita vers la maison, l'AIR affolé. Elle mit la main sur la bouche, comme horrifiée par le carnage. "Qui aurait pu faire ça?" Entendant ds murmures, elle se dirigea vers ceux-ci à pas prudents. Bonne résolution, à peine avait-elle franchi ce qui restait de la porte de la maison qu'une dague s'interposa devant sa gorge. Si elle avait avancé... Elle s'était immobilisée instantanément. Et fit signe à Accolon de rester là où il était. Elle força sa voix et dit, "mal assurée" :

# Thibaut?

Il rapprocha son couteau de la gorge de la magicienne. Elle le regarda du coin de l'oeil et vit que des larmes avaient creusé des sillons sur les joues sales de l'adolescent. Son frère était mort dans ses bras, il allait le venger. La haine et la colère marquaient ses traits, avaient pris la place de l'eau salée.

-Comment connaissez-vous mon nom?
# C'est...ton frère qui me l'a dit. Je suis venue plus tôt dans la journée. Je...Je suis celle qui l'ai soigné.
-Mon frère est MORT. C'est vous qui l'avez tué. Et vous allez payer pour ça.
# Non, non, je ne l'ai pas tué. Je suis celle qui l'a sauvé. Je lui ai rendu la raison.
Ce qui était vrai, quand on y réfléchissait. Techniquement, c'était Accolon qui avait porté le coup fatal. Et elle l'avait soigné sa folie. Bon, après la lui avoir infligée, mais on n'en était plus aux détails.

# C'est Merlin qui a causé la perte de votre village.
Là encore, ça n'était pas complètement faux. Merlin avait donné le pendentif, ce qui avait conduit Morgane à vouloir tuer tout le village. Elle continua d'une voix douce, ensorcelante :

# Merlin est mon ennemi. Il cherche à me nuire par tous les moyens. Quand j'ai guéri ton frère, l'enchanteur a dû s'en rendre compte et a envoyé des personnes pour m'atteindre. Je suis navrée que ta famille et tes amis aient souffert et soient morts.
Là, en revanche, Morgane mentait. Elle n'en avait strictement rien à faire, et, si ça lui permettait d'enrôler quelqu'un avec un potentiel, elle en était même plutôt ravie.

# Je vais reculer, et je vais partir. Tu ne me reverras plus, Thibaut. Sache seulement que Merlin doit faire surveiller le village et devrait revenir d'ici peu. J'ai le pouvoir de t'apprendre comment te battre, comment te défendre... J'habite un endroit que Merlin ne connaît pas. Un endroit secret, connu de très peu de gens.
Si tu viens, je te le montrerai. C'est un endroit sûr, invisible aux yeux de ceux qui ne le connaissent pas. Je m'assurerai que tu apprennes tout. Tu pourrais le venger. Tu pourrais les venger tous.
Je vais reculer, répéta-t-elle. Suis-moi si tu veux, je ne te force pas, Thibaut.

Là encore, c'était faux. Elle avait fait en sorte que son désir de vengeance soit plus fort que tout. De toute façon, il avait vu son frère avec toute sa tête et ce dernier lui avait avoué avoir été guéri par une magicienne. Elle recula et il la laissa passer, hagard. Elle sortit de la maison à moitié en ruines et revint vers Accolon qui attendait, à côté de leurs chevaux, leur tenant la bride. Au regard interrogateur de son subalterne, elle répondit par un léger sourire et en clignant les paupières doucement. Il arrive.

- Que dois-je faire?

Morgane se retourna et prit un air de circonstances. Elle caressa le front du cheval d'Accolon et ferma les yeux un instant. Le cheval fit de même puis souffla. Les deux rouvrirent les paupières. La fée prit ensuite la bride et la tendit au garçon, sans demander son avis à Accolon.

# Il connaît le chemin. Il te conduira. Je m'occupe de ta famille et des autres, ils auront tous une tombe, je te le promets. Maintenant, va. Il ne faut pas que Merlin te trouve. Nous te rejoignons dès que nous en aurons fini ici.

Elle tapa la croupe du cheval et celui-ci partit aussitôt au trot avant d'accélerer. Lorsqu'il fut vraiment loin, hors de vue des deux traîtres, Morgane se tourna vers son amant.

# Tu fais une des ces têtes...

Elle croisa ses bras autour de sa nuque claqua des doigts. Aussitôt les cadavres diparurent et de petits monticules allongés apparurent au même moment au centre de ce qui était le village.
# C'est pour ton cheval? Elle leva les yeux au ciel avant d'ajouter, narquoise et tentatrice à la fois. Un seul peut suffire, non?

Un nouvel avantage de combatte casqué vint frapper l'esprit d'Accolon, renforçant son affection légendaire pour cet équipement très pratique depuis le jour où il avait failli perdre la vie suite à un duel à visage découvert. Contrairement à Morgane donc, Accolon était relativement "propre", surtout que les vêtements n'avaient pas conservés de tâches lorsqu'ils reprirent leur forme.
Il n'empêche qu'il s'accorda toutefois un brin de toilette, se rafraîchissant après l'effort qu'il avait fourni pour le combat. Voir de nouveau Morgane, qui plus est dégrafant sa tunique, donna quelques idées à Accolon, mais il dut se retenir de les concrétiser pour l'instant. La Fée avait l'air pressée.

Thibault... Accolon laissa le soin à la Fée de mener la discussion, mais le Chevalier n'en scruta pas moins le gamin pour autant. Il avait une rage en lui, il était sur la défensive et était difficilement prêt à croire en qui que ce soit maintenant que sa famille venait de se faire exterminer. Thibault ne se définirait pas comme allié des traîtres, mais d'abord comme ennemi de la Table Ronde. Et s'il joignait les traîtres, c'est qu'il y trouvait un intérêt personnel.
Difficile à encadrer, mais pas impossible. Le reste du camp de Morgane n'était-il pas déjà ainsi ? Une somme d'individualités réunie par on ne savait quel miracle, sinon celui de la puissance de l'enchanteresse ? Morgane le tira de ses réflexions, par quelque chose qu'Accolon détesta immédiatement.

# C'est pour ton cheval? Bingo, la Fée ! Mais était-ce vraiment nécessaire d'en rajouter une couche ? Un seul peut suffire non? Alors là ! Accolon attrapa sa Fée par la nuque et l'embrassa follement, attrapant la taille de l'enchanteresse pour la serrer contre lui.
- Tu sais que tu as le don de m'énerver toi... Le Chevalier avait un sourire absolument conquis, les yeux brûlant de désir pour son amante.

Les reines du cheval lâchées, l'animal se mit à gambader quelque peu. Accolon avait mieux à faire. Le voyage de retour pourrait bien attendre un instant.