Petite distraction... [Accolon de Boron] [Terminé]

Morgane s'était assise sur la grande chaise de bois sculpté qui lui servait de trône. Elle posa sa tête sur sa main, le bras appuyé sur l'accoudoir. Elle soupira. Pour être honnête, elle s'ennuyait un peu, dans ce grand château. Elle l'avait rendu plus amusant en rendant les couloirs, les portes et les pièces amovibles, changeant d'eux-mêmes. Mais ça n'était plus aussi intéressant. Sauf, bien sûr, quand quelqu'un se perdait. A ce moment-là, Morgane prenait un malin plaisir à regarder l'autre chercher son chemin.
Elle soupira de nouveau. Plus personne ne se perdait, maintenant. Ils avaient tous compris que les mouvements fonctionnaient par cycles, qu'il suffisait d'attendre.

La fée se leva et s'avança vers l'une des immenses fenêtres de la salle. Droite, les mains croisées dans le dos, elle regardait le paysage éxtérieur. L'eau de la rivière miroitait sous la lumière du soleil. Le regard de Morgane vint alors se poser sur une petite tache sombre qui avançait. En bas, une jeune fille semblait voir le château. Etrange. Morgane ne l'avait jamais vue, encore moins révélé la position de sa place forte.
Merlin...
Elle étouffa un rugissement de colère tandis que ses yeux devenaient rose-rouge ; avant de sourire : la femme qui était entrée servirait de distraction. Pour elle, ou pour les gardes. Eux aussi s'ennuyaient ferme.
Morgane se calma instantanément - enfin, se calma à son niveau, c'est-à-dire que si elle avait été un être humain normal, sans histoires, elle aurait été en colère, mais bon, c'était Morgane, quoi...
La haine et la violence étaient toujours présents en elle. Il n'y avait pas un seul instant qui passe sans qu'elle ne soit pleine de ressentiment.
Le visage d'Accolon vint flotter dans ses yeux.
Bon, presque pas un seul instant. Mais Accolon semblait toujours rempli de la même hargne que celle qui habitait la demi-soeur d'Arthur. Un fin sourire se posa sur le visage de la fée. Accolon. Le seul être, avec Mordred, qu'elle appréciait. D'accord, il lui était totalement dévoué, obéissait à ses moindres désirs, donc c'est vrai, c'était peut-être aussi pour ça qu'elle l'appréciait.
Mais surtout, surtout, il ne rechignait pas à faire ce que d'autres auraient refusé de faire : incendier, tuer un témoin, menacer la famille d'un autre...

Oui, Accolon était quand même très pratique. Et il s'était tellement acharné contre les traîtres, contre les partisans de Morgane qu'il n'en restait plus autant qu'avant. Mais Accolon, par son esprit froid, calculateur et objectif (sauf s'il s'agissait d'elle, il devenait presque sentimental...enfin, sentimental à son échelle) remplaçait ainsément 2, voire 3 des anciens chevaliers. Et il était excellent stratège, ce qui n'était pas négligeable.
Et puis, il fallait reconnaître que Morgane avait très bien joué son coup. Le rendre dépendant d'elle, sorte d'amoureux transi avait été un coup de maître. La solitude commençait à peser sur la fée, au début. Quand il était arrivé...
Morgane s'étira à ces souvenirs. Même si elle ne se détournait jamais de son objectif, reprendre le trône, elle appréciait les moments passés avec son bras droit.
Il savait se montrer dur et intransigeant, il l'était la plupart du temps, mais, en privé, avec elle, il pouvait devenir courtois, malgré le fait que la plupart de leurs étreintes se révélaient lourdes de haine et de violence contenues.

Un bruit tira Morgane de ses pensées. Elle n'avait pas besoin de se retourner pour savoir qui c'était. Quand on parle du loup...
Elle se retourna et avança vers lui de son pas toujours plein d'assurance, enjôleuse. Comme il la dépassait de presque dix centimètres, elle se mit sur la pointe des pieds pour l'embrasser avant de réaliser qu'il restait immobile. Morgane enroula chacun de ses bras autour de ceux d'Accolon, avant de chercher à nouer leurs doigts, essayant de le faire réagir. C'est à ce moment précis qu'elle sentit une masse fibreuse dans la main de son amant. La fée se recula et regarda ce que traînait le chevalier.
Une tête?...
Ah, non, le corps suivait.
Elle posa la main sous le menton de la jeune femme et la releva. La douceur soudaine de Morgane ne pouvait que surprendre Accolon, mais il devait savoir que pareille sollicitude de la part de sa maîtresse cachait souvent autre chose.
La fée prit un air affligé en regardant la tempe de la paysanne et un (faux) air courroucé envers Accolon :

# Accolon... Qu'est-ce que tu as fait?... On n'écharpe pas les gens comme ça, voyons...

Sa voix douce surprit la jeune femme et celle-ci se sentit en sécurité. Morgane n'était donc pas mauvaise? La paysanne soupira malgré la douleur lancinante à la base de la tempe, là où l'oreille arrachée par Accolon se trouvait précédemment. La pauvre Alice perdit toutes ses illusions lorsque la magicienne ajouta :

# ...du moins, pas avant que je ne t'aie autorisé...

Morgane se pencha vers elle, qui s'était recroquevillée, et posa la main sur la plaie, où le sang commençait lentement à coaguler. Lorsqu'elle enleva la main, la plaie était refermée, bon, il n'y avait pas d'oreille, mais la douleur avait disparu (seule la peau tirait un peu sur la marque devenue rosée) et la plaie s'était refermée en une longue cicatrice.

# Ne crois pas que tu vas t'en tirer comme ça, Alice. Tu vas très vite apprendre les régles de la maison.
A la moindre désobéissance, je rouvre la cicatrice. Je l'ai fermée uniquement pour ne pas avoir du sang partout. Les taches sont épouvantables à enlever.
Ensuite, Tu ne peux pas sortir d'ici. A la moindre tentative d'évasion, je te tue de mes mains. C'est bien compris?

Elle se tourna vers Accolon :
# Comment est-elle entrée?

Le grand Chevalier resta insensible aux petites attentions de son amante, d'autres sujets méritaient l'attention de la Fée, comme Alice par exemple. Il s'autorisa néanmoins un léger sourire une fois que Morgane eut son attention portée sur la future servante.

La Fée le surprendrait toujours autant à le comprendre. Cela froissait légèrement son égo d'ailleurs, lui qui mettait sa fierté dans le fait d'avoir toujours un coup d'avance sur les autres. Pas besoin de mots, Morgane soigna l'innocente avec un air angélique avant d'émettre de nouveau des mises en gardes. Alice ne savait visiblement plus sur quel pied danser, on la capturait et on lui sauvait la vie, on lui coupait une oreille et on la soignait, quoi d'autre encore ? Et Accolon, dans le dos d'Alice, se para d'un large sourire carnassier: la volonté d'Alice se briserait, ou alors ils étaient tombés sur une perle rare de détermination (ce qui pouvait aussi avoir son utilité).
D'un mouchoir en tissu, le Chevalier était en train d'essuyer sa main gauche partiellement couverte de sang lorsque Morgane l'interrogea.

- Mélusine l'a trouvée dans le périmètre du château. Elle porte un médaillon de Merlin. Accolon continuait toujours de frotter sa main, et désigna le cou d'Alice en levant légèrement le menton dans sa direction. Il n'avait jamais trouvé nécessaire de respecter un protocole en privé avec son amante, et il appréciait cela. La Selkie suppose que Merlin a incrusté un sort de localisation sur le médaillon. L'astuce étant qu'en donnant un tel médaillon a une personne ignorante ne recherchant pas le château, le sort serait censé passer tes protections. C'est assez... problématique.

L'amant de la Fée fit une petite pause pour se concentrer sur le pliage et rangement de son mouchoir dans une de ses poches. Il fit une légère moue en regardant Alice, puis se reporta sur Morgane avec un regard sérieux.

- J'aimerai jetter un oeil sur le fonctionnement du médaillon avec toi... voir comment nous pourrions l'utiliser. Mmm... Le Chevalier pencha les yeux vers Alice, et continua d'un ton neutre mais compatissant. Si Morgane venait de jouer le rôle du bâton avec ses dernières menaces, il était temps de donner la carotte à l'esclave. Alice a perdu assez de sang et a été suffisament désorientée pour la journée. Elle m'a suivi de son plein gré jusqu'à la salle du trône, même après avoir vu son oreille arrachée - j'ai juste dû la trainer sur les derniers mètres car elle s'était effondrée de douleur. Il serait temps de lui confier des quartiers et de l'y... transporter (il était évident au ton employé qu'Accolon voulait dire téléporter)... pour qu'elle s'y repose et se restaure à sa faim. Ses devoirs au Château pourront bien commencer demain.

Maintenant que Morgane avait accepté la présence de la "domestique", le Chevalier semblait plus que pressé de s'en débarasser pour pouvoir discuter calmement avec la Fée. Non pas qu'il lui peinait de partager ses plans avec une tierce-personne (Accolon était trop arrongant pour se méfier réellement d'une esclave, et faire comme s'ils n'existaient pas faisait partie de leur servitude), surtout qu'à terme Accolon espérait bien pouvoir avoir assez confiance en Alice pour lui donner de plus grands rôles... le camp des trâitres manquait cruellement d'effectif, et à vrai dire il avait sa fierté à considérer qu'il y était pour quelque chose.
Mais en l'espèce, le traître considérait qu'il valait mieux qu'Alice n'écoute pas tout ce qu'il prévoyait de faire à partir du médaillon qu'elle leur avait apporter. Il n'avait pas envie d'une esclave sucuidaire rongée par la culpabilité de savoir qu'en ayant ammener cet objet aux traîtres, elle avait condamné bien d'autres personnes à subir le courroux des fidèles de Morgane.

Voyant Accolon essuyer consciencieusement ses doigts, Morgane sourit. Ca ne le gênait absolument pas de tuer, dépecer, décapiter, molester, mais il ne supportait pas être taché par ses victimes. A l'évocation de Merlin, Morgane retroussa les lèvres, comme un loup énervé aurait retroussé les babines sur ses crocs. Merlin, toujours Merlin ! Il ne pouvait pas arrêter de les traquer, ne serait-ce que quelques jours ?...

# Je m'en doutais. Quant au sort... Oui, ça serait bien son genre.

La fée se pencha vers Alice et prit le pendentif qu'elle portait encore au cou. C'était un pendentif basique, l'une de ces babioles qu'on achetait n'importe où (oui, même à l'époque). Mélusine avait aussi probablement raison, ce qui n'était pas pour rassurer Morgane. Si Merlin n'avait trouvé que ce moyen minable pour l'atteindre, il allait avoir une surprise... Celle qu'on appelait la Fée allait s'amuser aux dépents de l'Enchanteur. Oui, Merlin ne s'attendrait jamais à ça...

- J'aimerais jeter un oeil sur le fonctionnement du médaillon avec toi... voir comment nous pourrions l'utiliser.

Morgane avait commencé à marcher un peu, retournant à sa chaise, réfléchissant à son nouveau plan, les pans de sa robe rouge battant l'air qu'elle déplaçait. Elle hocha à peine la tête à la demande de son amant, réfléchissant au sort. Ce fut au nom d'Alice, prononcé avec douceur par Accolon que, de son siège, elle releva la tête vers eux, le regard soudain rougeâtre. A l'évocation des appartements de la servante, de lui laisser du temps pour se remettre, Morgane sourit et son regard redevint noisette. Elle hocha la tête, se tourna vers son amant qui, en bras droit mais néanmoins subalterne, attendait les ordres.

# Que personne ne la touche. Si elle n'est ne serait-ce qu'effleurée par un garde, il en répondra devant moi. Elle s'adressa à sa nouvelle servante : Tu trouveras dans tes appartements de quoi te restaurer, te nourrir et te changer, faire un brin de toilettes si tu le désires, tu seras dans tes quartiers, tu y feras ce que tu veux.

Allez, maintenant.
Morgane esquissa un mouvement de la main. L'instant d'après, Alice se trouvait dans une vaste pièce inondée de lumière, où un bain chaud, une armoire immense remplie de diverses robes et une table sur laquelle étaient posées des victuailles l'attendaient. Morgane sourit, voyant la réaction effarée de la paysanne. Elle se détacha de la nouvelle esclave pour revenir à Accolon. Elle lui sourit et lui tendit la main, lui faisant signe de venir. Ils n'étaient séparés que par quelques mètres, pourtant, lorsque Morgane rabaissa la main, elle avait déplacé le chevalier à côté d'elle, à demi assis sur l'accoudoir. L'ennemie de Guenièvre se tourna dans la haute chaise pour blottir son dos contre Accolon, et, croisant ses doigts à ceux du chevalier, elle contempla sa main à lui, abîmée par le maniement de la hache. Elle embrassa doucement, chose rare, l'une des fines marques avant de se nicher de nouveau contre lui.

# Notre nouvelle amie se reposera donc jusqu'à demain.
Pour le médaillon de Merlin... Je ne vais pas inverser le sort. Non, ça serait trop facile. D'autant plus qu'il comprendrait immédiatement et arrêterait le sort. Non, je n'inverserai pas l'enchantement jeté. Et Merlin reste presque toujours à Camelot, donc nous n'avons aucun besoin de le rechercher. Son autre cachette m'est connue, donc... ajouta-t-elle en pensant à Viviane et au lac.
Ce que je vais faire sera plus amusant...pour nous. Je vais rendre les médaillons fous. Chacun des porteurs annoncera avoir trouvé quelque chose, mais ce sera toujours un autre lieu. Merlin ne saura plus pù donner de la tête. Il finira par annuler le sort. S'il continue... je dévoilerai aux porteurs son jardin secret.

Morgane avait prononcé sa dernière phrase avec un sourire narquois. Elle pencha la tête en arrière, en direction d'Accolon, qui, toujours assis derrière elle, n'avait rien dit. Même si son avis à lui était peu utile (Morgane n'en faisait presque toujours qu'à sa tête), elle lui demanda quand même :

# Qu'en penses-tu?

S'il arrivait encore à Mélusine ou aux autres chevaliers de se plaindre de la magie du Château, Accolon s'y était totalement habitué. Peut-être par son contact prolongé avec Morgane, parce qu'elle aimait bien l'utiliser sur lui. Et peut-être aussi parce qu'il aimait savoir de quelles ressources leur camp disposait.
Morgane le déplaça de quelques mètres et Accolon s'assit directement sur l'accoudoir, comme s'il avait simplement marché. La Fée se blottit contre lui et leurs mains se joignirent. Morgane était tendre, hahaha. Le Chevalier esquissa un sourire, sympathique et amusé, rendant les caresses de son amante en passant son autre main dans ses cheveux. Généralement, lorsque la Fée avait cette attitude, c'est qu'elle avait une idée derrière la tête. Justement, voilà... rendre les médaillons fous. Voilà une idée qui ressemblait bien à sa Fée.

- Intéressant... et totalement dans le style de la Fée, ma chère Fée. Accolon tourna son buste de manière à pouvoir glisser quelques mots à l'oreille de son amante, d'un ton séducteur. Et penses-tu avoir un petit rôle à donner à tes chevaliers préférés pour les amuser ? Ils s'ennuient au château, tu sais, mmm. Le Chevalier se leva, invitant Morgane tenant toujours sa main à faire de même. Il la serra contre lui, et la fit tourner doucement, son front penché contre le sien, dans une lente danse où les seuls sons étaient leurs pas résonnant sur les dalles de la salle du trône.

- Et les paysans osent accepter, même sans le savoir, des médaillons de Merlin. Cela mérite une punition exemplaire, et que ces manants craignent de nouveau le fait même de prononcer ton nom. Le petit jeu amusait terriblement Accolon, ou comment tenter de faire changer Morgane d'idée. Il fallait procéder en douceur, en séduction et en force. Le Chevalier se pencha de nouveau à l'oreille de la Fée. Si le peuple se met à aider Merlin, alors il faut leur faire comprendre qu'ils ne sont plus à l'abri de ton courroux. Les rendre fous ? Les désorienter ? Cela énervera Merlin, mais les paysans n'y comprendront rien. La Fée est sans pitié avec ses ennemis. Fais tomber les éclairs et battre un ciel noir, et ordonne à tes chevaliers de battre les campagnes et de répandre la terreur en ton nom.

L'idée qu'il en faisait peut-être un peu trop traversa l'esprit d'Accolon, et il rigola légèrement. Bah, la Fée savait très bien qu'il essayait de la convaincre, pourquoi s'en cacher ? Le Chevalier était le bras droit de Morgane, et il pouvait se permettre de faire ce que le reste des mortels ne pouvaient oser penser.

- Châtions ceux qui acceptent la main de Merlin, et récompensons les autres. Montrons au peuple que choisir la Fée vaut mieux que choisir l'Enchanteur. Nous avons l'avantage, nous seuls pouvons utiliser la peur ! Et même si finalement Arthur décide de matter les paysans nous ralliant, il ne fera qu'entâcher son honneur et nous y serons encore plus gagnant.

Accolon avait assez joué, et il était temps de lancer la phrase fatidique. Proposer un plan différent de celui de la Fée. Le Chevalier n'oserait jamais jusqu'à contester l'une des décision de son amante (même si cela ne l'empêchait pas de trouver que parfois sa haine altérait son jugement), mais en temps que stratège n'était-il pas là pour proposer sa vision des choses ? Et tenter de convaincre Morgane était l'une de ses distractions préférées, au risque de se faire mordre.
Le Chevalier caressa la joue de sa maîtresse.

- Pourquoi ne pas enchanter le médaillon pour trouver les autres ?

Et penses-tu avoir un petit rôle à donner à tes chevaliers préférés pour les amuser ? Ils s'ennuient au château, tu sais...

Les chevaliers? Un rôle? Mmmm... C'est vrai qu'ils s'ennuyaient. Surtout que Morgane avait interdit la seule nouveauté-distraction-potentielle qu'était Alice. Mais, ce faisant, elle se l'éait interdite aussi. Elle se laissa bercer par Accolon, entraînée dans cette sorte de lente danse, tandis que son esprit, lui, travaillait à toute vitesse, réfléchissant à un nouveau plan.
Le sieur de Boron était fin stratège, son avis, même si la fée ne le demandait pas souvent, était précieux. Parce qu'il avait ces connaissances militaires qu'elle ne possédait pas. Il avait appris toutes les tactiques, et excellait face à une nouvelle situation. Son contact lui permettait de penser à des aspects qu'elle n'avait pas forcément considérés auparavant.
A propos de contact... Le souffle chaud d'Accolon vint à nouveau chatouiller son oreille, tandis qu'il exposait sa théorie.

Si le peuple se met à aider Merlin, alors il faut leur faire comprendre qu'ils ne sont plus à l'abri de ton courroux. Les rendre fous ? Les désorienter ? Cela énervera Merlin, mais les paysans n'y comprendront rien. La Fée est sans pitié avec ses ennemis. Fais tomber les éclairs et battre un ciel noir, et ordonne à tes chevaliers de battre les campagnes et de répandre la terreur en ton nom.

Morgane posa la main sur la nuque de son amant, et l'attira vers elle. Là, alors que leurs nez se touchaient, les yeux séparés par quelques centimètres seulement, elle tourna la tête et lui souffla à son tour dans l'oreille :
# Ce que tu ne sembles pas comprendre, mon cher, c'est que tout le monde s'ennuie... Les chevaliers, toi, moi... Je pensais que la petite gourde ramenée par Mélusine apporterait un peu de distraction, mais tu en as enlevé tout le sel en lui coupant l'oreille. Tu me l'aurais amenée intacte, je ne dis pas, mais...

La magicienne se recula, et se retrouva presque aussitôt devant une fenêtre, tournant le dos à Accolon. Un sourire mauvais se dessina sur son visage. Elle aimait l'idée que les paysans aient peur ; il fallait la reconnaître, Accolon la connaissait plutôt bien. Elle croisa les bras sur sa poitrine, sans se retourner vers lui. S'il était parti, s'était approché ou éloigné, elle n'aurait su le dire, concentrée sur autre chose. Sa démarche féline, de toute façon, ne s'entendait que trop tard. Morgane fixait un grand chêne, plusieurs fois centenaire qui se trouvait en face d'elle.
Elle secoua la tête, hésitant pour la première fois. Accolon avait déjà réussi à la faire changer d'avis, une fois ou deux, mais il lui avait fallu employer douceur, séduction et aussi lui forcer la main. Il procédait toujours de la même manière.
Morgane voulait être obéie sans discuter. Son regard vira à un rouge sombre et elle se retourna d'un coup vers Accolon. Derrière elle, dehors, le chêne brûlait. Elle regarda son amant et le souleva lentement dans les airs avant de le projeter vivement contre le mur (pas trop violemment quand même, elle en avait besoin). Son regard redevint noisette et elle sourit à l'homme à terre, assis le dos contre la paroi.
Elle ferma les yeux, et les deux furent dans une autre pièce du palais invisible. Morgane déplaça Accolon sur une litière, l'allongeant sur le ventre pour qu'il se remettre (se prendre un mur de pierre de presque deux mètres d'épaisseur ne laisse pas l'individu en pleine forme).

# Qu'ils me haïssent, pourvu qu'ils me craignent, c'est bien ça?

Toujours pleine de contradictions. Elle pouvait être câline puis, d'un coup, violente, colérique. Elle changeait d'humeur fréquemment, sans prévenir. Rares étaient les personnes qui supportaient ses sautes d'humeur. Heureusement pour elle, Accolon et Mélusine étaient parmi ceux-là. Elle lui caressa le front puis fit disparaître l'hématome grossissant du dos du chevalier. Elle se releva et s'éloigna du lit, se rappochant d'une fenêtre, comme elle faisait souvent pour réfléchir. Sans se retourner vers l'homme allongé, elle annonça alors sa décision.

# Fais circuler une offre. Quiconque donnera un porteur de médaillon de Merlin recevra 5pièces d'or. Quiconque protègera un porteur de médaillon mourra lentement, après sa famille, jusqu'à ce qu'il nous donne le porteur. Que la famille soit tuée sous ses yeux, ça le rendra plus...coopératif.
Je rendrai fous les médaillons, parce je l'ai décidé, Accolon. Parce que je m'ennuie, et qu'ennuyer Merlin me distraiera un peu. Je changerai le sort pour tracer les pendentifs. Mais l'enchantement que tu demandes n'est pas simple. Pour le faire, je serai seule, avec le porteur originel.
Qu'ils aient peur, Accolon. Qu'ils meurent, qu'ils soient torturés, physiquement, mentalement, mais qu'on m'amène ces médaillons et les porteurs. Fais comme tu l'entends. Mais respecte ce que je te dis, et ne chercher plus à me contredire ou à mae faire changer d'avis.Est-ce bien clair?

Morgane se retourna vers lui, le toisant de son regard légèrement pourpre et ajouta, ironique.
# De toute façon, tu en fais presque toujours à ta guise, n'est-ce pas?

Alice, une distraction ? Morgane se posa près de la fenêtre pour réfléchir, laissant Accolon sur sa réflexion. Une distraction ? Ah oui, c'est vrai. Il sortait parfois de l'esprit du Chevalier que ces camarades étaient tous des sadiques en puissance, et torturait avant tout pour le plaisir et non par nécessité. Qu'importe, ils n'auraient qu'à faire mumuse avec des villageois, Accolon avait des plans pour Alice. L'esclave était une vraie aubaine.

Il n'avait pas bougé de sa place lorsque Morgane se retourna vers lui, avec dans son dos d'immenses flammes léchant le chêne centenaire. Malheureusement pour le Chevalier, la Fée n'avait pas l'air d'avoir évacué toute sa colère.
Se faire soulever par magie est un peu comme nager sous l'eau. La même sensation d'uniformité et de lenteur dans des mouvements que l'on ne contrôlait plus vraiment. Accolon serra les dents pour encaisser le choc, ses os et ses plaques de métal résonnant contre la pierre. Dommage pour les dalles, Accolon se réceptionna sur sa genouillère et avec sa main droite gantelée mais rapidement, le Chevalier décida de s'asseoir pour laisser ses muscles récupérer.

Dans l'instant sur une litière, ses armes et protections d'entrainement n'étaient plus attachées à lui - rangées magiquement dans ses quartiers, probablement. Accolon se laissa faire lorsque Morgane, dans une logique connue seule d'elle, soignait les dégats qu'elle avait elle-même causée. Le Chevalier la comprenait d'une certaine manière, lui aussi avait ses sautes d'humeur. Mais la folie de Morgane le fascinait, comme une énigme insoluble et mystérieuse.
Se retournant sur le dos et redressant légèrement son buste, en appui sur ses coudes, Accolon sourit ouvertement à la dernière réplique de son amante. Elle le... toisait ? Morgane savait être énervante, une qualité qui savait plaire au Chevalier.

- Mais n'est-ce pas justement cela que tu attends de moi, Morgane. Je suis le seul à qui tu laisses quelques longueurs à sa laisse, quel intérêt aurais-je à me comporter comme un gentil petit chien ? Accolon rit de sa propre remarque, plutôt inconsidérée vue que Morgane venait de le malmener pour avoir constester ses dires à peine quelques minutes plus tôt. Il décida néanmoins qu'il avait assez taquiner sa Fée pour aujourd'hui, et il acquiesa pleinement à son plan. Cela sera fait ma Fée, et la folie des porteurs les rendra d'autant plus facile à repérer. Cela s'enclenche... parfaitement... oui.

Le Chevalier de Morgane s'était de nouveau allongé sur le lit, et regardait le plafond. Il ne pouvait s'empêcher de concocter des plans, et un sujet aussi intéressant que les médaillons ne l'avait pas occupé depuis longtemps. Croisant ses jambes, il réfléchissait tout en lisant sa barbe et souriait tout seul en trouvant de nouvelles idées.

Décidément, Morgane n'était pas d'humeur à plaisanter. Surtout depuis qu'elle avait découvert que Merlin utilisait les villageois pour la localiser. Bon, elle se doutait qu'il essaierait, mais ça n'était pas parce qu'elle savait qu'elle dépréciait moins le geste.

- Mais n'est-ce pas justement cela que tu attends de moi, Morgane. Je suis le seul à qui tu laisses quelques longueurs à sa laisse, quel intérêt aurais-je à me comporter comme un gentil petit chien ?

Morgane éclata d'un rire faux et continua de le toiser. Accolon était l'un des ces rares êtres qui lui faisait passer de l'envie de gifler à celle d'embrasser en aussi peu de temps. Pour l'heure...l'envie était à la gifle. Elle le fixa intensément, un étrange sourire aux lèvres, et, lorsqu'elle leva les yeux vers le plafond, le corps d'Accolon suivit le mouvement. Elle le balançait doucement, d'un côté à l'autre de la pièce, le toisant de ce même regard inpénétrable et indescriptible. Nul n'aurait pu, à ce moment précis, dire à quoi elle pensait et ce qu'elle comptait faire.

Elle le faisait léviter dans la pièce, les faisant en même temps changer de salle tous les deux. Chaque salle visitée étant vide, évidemment, avant de les amener dans ses propres quartiers. Les appartements privés de Morgane... Rares étaient les personnes admises. A bien y réfléchir, il n'y avait qu'Accolon qui y avait jamais eu eu accès. La pièce changeait d'endroit plus souvent que les autres, et seule la magie permettait d'y accéder.
Après l'avoir fait tourné autour d'elle, elle l'arrêta en face d'elle et sa voix sourde de colère résonna dans la pièce :

# Ne recommence jamais à bafouer mon autorité de la sorte, Accolon. Certes tu bénéficies de quelques...privilèges, mais ils peuvent disparaître d'un seul claquement de doigts. Ne l'oublie pas.

Elle s'approcha de lui lentement, toujours un peu menaçante, tandis qu'il restait immobile. Morgane posa les mains sur les épaules de son chevalier, nichant sa tête dans le creux à la base de son cou. Fermant les yeux quelques secondes, elle le laissa la serrer contre lui, avant de faire glisser les mains sur ses hanches. Elle releva la tête, embrassa doucement le bout du menton d'Accolon et glissa ses mains sous la tunique, caressant le dos, parcourant de ses doigts fins les cicatrices anciennes, chemins sinueux incrustés dans sa chair. Les mains de la fée redescendirent à l'ourlet de la tunique et, la saisissant, souleva le vêtement, l'enlevant en même temps qu'elle embrassait ses lèvres rudes qui disaient tous ces mots qu'elle détestait, ces mots qu'elle voulait taire.

Elle s'écarta un instant et lui murmura, bouche contre bouche :
# Ne me défie jamais plus, Accolon.

Accolon répondit par un long baiser. Puis il descendit doucement le haut de la robe rouge de Morgane, dévoilant ses épaules nues et ses seins.

- Je ne te défierai jamais Morgane. Tu m'as vaincu dès l'instant où j'ai posé mon regard sur toi, il y a bien longtemps, à Caamelot. Le Chevalier disait plus ou moins vrai : même s'il avait été un des derniers à rejoindre effectivement Morgane, la fascination qu'il avait pour elle avait des racines bien plus anciennes.

Légère entre ses bras, il souleva la Fée et la porta jusqu'au grand lit. Le temps n'était plus aux mots, et Accolon noua ses mains dans celles de Morgane en s'allongeant sur elle. Les légères disputes de la Reine du Château invisible et de son Chevalier servant se concluaient presque toujours dans une passion dévorante.
Et Accolon avait envie d'être rassasié, après avoir pâlit comme jamais en entendant la Fée simplement évoqué l'hypothèse de la fin de son statut... car pour le traître, cela signifiait sa fin à lui.

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