C'était fou ce qu'on entrait facilement dans ces jardins... Sa longue expérience lui soufflait d'ailleurs qu'il n'était absolument pas défendable en cas d'attaque. Non, il était plutôt une porte presque ouverte dans les denfenses du château ! Une bonne armée vous aurait prit ce truc en trois coups de cuillère à pot. Etonnant tout de même qu'il ne soit pas totalement dans les murailles ou totalement hors des murailles. S'aurait été beaucoup plus sûr. Peut-être les condamnait-on en cas de crise. Pour peu que Caamelot, l'arrogante cité d'Arthur, ait jamais connu une vraie crise... Car cette ville était relativement jeune, il le voyait. Bien sûr, sa relativité à lui était toute relative, même quand il comparait. Il avait vu le Caire, Rome ou Persépolis. Aucune ville bretone n'était aussi ancienne, assurément. Ce qui ne les empêchaient pas d'être intéressantes, elles aussi, à ses yeux immortels.

Tout ça pour dire que Valérian, après avoir prit ses aises à l'auberge, avait décidé de visiter un peu la ville, et n'avait rien trouvé de mieux que de s'introduire dans les jardins du château. Il faut dire qu'il ne déparaillait pas dans le paysage, avec sa tenue plutôt correct et sa mendoline dans le dos. Il était même armé, d'une belle arme exotique, un sabre sortit des meilleurs forges d'Orient ! Qui aurait pu soupçonné qu'il n'était pas un barde engagé par un quelconque intendant, et même qui s'en serait soucié ? Si on lui demandait, il jourait, tout simplement. Et alors, comme toujours, les ennuis s'envoleraient. Le simple fait de jouer et de chanter prouverait son identité et le laverait de toute inculpation. On serait convaincu de sa bonne foi s'il disait la vérité, en ajoutant qu'il cherchait un engagement pour quelques représentations en faisant cela. Les gens seraient heureux, lui aussi, et tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes !

Pour l'instant, toutefois, il profitait des jardins. Assez agréables, même s'ils ne rivalisaient avec les paradis perses. Le temps aussi était plaisant, et les conversations qu'il entendait de temps en temps en croisant de petits groupes n'étaient pas trop désagréables à saisir au vol. Un bel après-midi, en somme... Et le Draugr faisait confiance au destin pour le distraire quand il le jugerait bon. Le destin le faisait souvent... Et lui, il avait apprit à attendre. Un immortel a le temps d'être patient, tout le temps. Toujours. Qu'importaient les heures pour un être qui ne vieillissait, pas, qui était si difficile à tuer, même, à tel point que quelqu'un qui ne connaissait pas sa race n'avait presque aucune chance d'utiliser le bon moyen de le tuer ? Moins que le bourdonnement des insectes ou la caresse du vent, à vrai dire...

En l'occurence, le destin choisit de se manifester alors qu'il avait la tête penchée sur le côté, écoutant le chant des oiseaux en compossant une mélodie à partir de leur trille, perdu dans ses pensées lointaines de musique et de chant. Il se manifesta sous la forme d'une jeune femme, qui lui rentra brusquement dedans. Le choc ne fût pas assez violent pour les faire tomber, mais bien assez pour le sortir de ses pensées. Ses yeux d'un bleu intense se fixèrent sur le visage de l'inconnue.

"Je..suis navrée je ne regardais pas où j'allais."

Non, sans blague ? Il se doutait bien qu'elle ne lui avait pas courru dessus parce qu'elle le trouvait joli garçon, même si la chose aurait été possible, au fond... Ne laissant rien paraître de sa réflexion intérieur, il prit la main de la jeune femme pour la porter à ses lèvres en un geste galant.

« Ce n'est rien, damoiselle. C'est moi qui suis désolé de n'avoir pas été assez attentif pour vous éviter. »

Et de s'incliner avec grâce, aillant lacher sa main. Valérian faisant son homme polit, son gentleman. Il en était pleinement capable, lorsque c'était nécéssaire ou que ça lui prenait. Et là, de par le lieu, son interlocutrice peut-être, et ses caparice, ça lui prenait...

« Je suis Valérian, Valérian Chantelune... Aurais-je l'honneur de connaître votre nom, damoiselle ? »

La jeune femme avait rougit quand ils s'étaient percutés, puis qu'il lui avait baisé la main, avant de secouer sa tête aux boucles blondes et de sourire.

"Enchantée Messire Chantelune, c'est un très joli nom. Je me nomme Illyria Scylla. Ravie de vous rencontrer malgré... Mon entrée en matière involontaire et peu orthodoxe"

Il inclina la tête avec légerté, en signe de salut, puisqu'elle s'était nomée, et qu'elle était une dame, visiblement... Pour ce que ça valait. Il avait été noble, lui aussi. A bien des époques. Pas de naissance, bien entendu, mais pour une raison où une autre. Un Empereur qui l'anoblissait par ici, un Roi qui le faisait chevalier par-là... Les occasions étaient nombreuses, les justifications aussi. Avoir guéris un petit prince ou une petite princesse de son incurable mélancolie, avoir sauver la vie d'un tel ou d'un tel, avoir battu en combat singulier – et grâce à ses seuls pouvoirs, bien entendu – te ou tel champion, avoir offert la plus belle musique qui soit... Oui, de très nombreuses raisons, et bien sûr la simple sympathie. Il avait été noble, si fait, mais ne se considérait pas comme tel... Pas pour le moment, tout du moins...

Comme un instant de silence passait, dont elle profitait visiblement pour le détailler, il lui rendit la pareille. Jeune, plutôt jolie... Une Humaine, parmi toutes les autres Humaines. Destiné à passer, et à mourir, réduite en poussière par la marche du temps... Ainsi étaient les Humaines... Et pourtant, pourtant... Il y en avait une... Mais, à l'instar de son interlocutrice, il secoua la tête, chassant ses pensées. Ce n'était pas le moment, certes non.

"Vous êtes barde ? Vous êtes là pour le banquet de ce soir je présume ?"

Oui, déduction logique... Seulement, s'il se contentait de répondre par l'affirmative, ça serait un peu suspect, quand il ne serait pas présent au banquet du soir. Et il ne tenait pas à devenir si peu suspect que ce soit, pour le moment. Pas question de se priver du plaisir de profiter de cette ville nouvelle avant d'avoir découvert tout ce qu'il y avait à découvrir... Et puis... Non, non...

« En effet, je suis barde, Dame Scylla... Mais je crains de ne pas avoir eu l'audace d'aller me présenter pour le banquet dont vous m'apprenez qu'il doit se tenir se soir... »

Une bonne façon de présenter les choses, au fond. Car, bien sûr, s'il avait « eu l'audace », il serait programmé. Quelle cours se serait privé de ses talents, pour peut qu'il les proposent ?

« A vrai dire, j'étais juste venu profiter de la beauté apaisante de ces jardins. »

Et pas besoin de préciser comment il était arrivé jusque là, n'est-ce pas ? Ce n'était sûrement pas nécéssaire à la tranquillité d'esprit de la jeune femme que de savoir qu'il s'était introduit ici plus ou moins sans autorisation aucune...

« Mais dites-moi, damoiselle, ais-je raison de supposer que vous appartenez à la noblesse de Caamelot ? »

Pas une question bien risquée, encore plus pour lui, d'ailleurs, qui connaissait si bien les hommes. Il lui sourit, un sourire charmant.

« En ce cas, je ne voudrais pas vous importuner par ma pauvre conversation de barde et troubadour vagabond. »

Il s'inclina légèrement, comme pour s'excuser. Il disait vrai, il n'allait pas le gêner plus que nécéssaire... Ce n'était pas encore le moment de ce faire remarquer, non pas...

Ce n’était pas la première dame de la noblesse que Valérian rencontrait en de pareilles circonstances, ni en pareille lieu. La plupart, surtout dans la noblesse occidentale chrétienne, se contentaient de rompre au plus vite la conversation, où de l’inviter à chanter, ce qu’il faisait presque toujours, car c’était son métier. Seules quelques-unes avaient été d’humeur agréable et badine… Comme l’était celle sur qui il était tombé cette fois, visiblement.

"En effet, je suis issue de la noblesse, mais j'arrive de mon duché, je connais encore peu la cour de Caamelot."

Ce qui pouvait expliquer pourquoi elle avait l’air si simple pour une Dame. Non pas que cela le dérangea, que du contraire. Le troubadour s’accommodait de toutes les compagnies, et celles de ce genre-là n’étaient pas des plus déplaisantes, certes non. Son duché devait être assez éloigné du château-capital pour qu’elle n’ait pas contracté tous les tiques de la grande noblesse en général…

"Mais vous ne m'importunez nullement, bien au contraire"

Elle ne mentait visiblement pas. Le ménestrel, qui connaissait bien les hommes et les femmes, depuis tant et tant d’années passées sur la terre, pouvait lire dans son regard pétillant qu’elle prenait quelque plaisir à leur échange courtois. Si elle arrivait de ses terres, sans doutes ne s’était-elle pas encore fait aux conversations pesantes et policées des cours royales, qui ne changeaient généralement que bien peu dans une même culture. Heureusement, grâce en soit rendue à la Lune, quand il restait dans un tel lieu, fût-ce avec un titre sous le bras, on lui excusait tout ou presque de par son statut toujours inratable de poète et de musicien. Il se demanda vaguement s’il y avait un tel personnage, ici…

"Si vous aimez le calme et la beauté de ces jardins vous devez voir le labyrinthe, et son cœur surtout."

La jeune femme s’était mise en marche et, inclinant brièvement la tête, il la suivit de son pas souple, celui d’un voyageur… Ce qu’il était, sans aucuns doutes possibles.

« Dame, si vous m’affirmez que je ne vous importe point, je ne puis que vous croire. Et, en ces conditions, c’est avec grande joie que je visiterais à vous côtés tous les recoins de ce jardin qu’il vous plaira de me montrer, jusqu’à ce que vous vous lassiez de ma modeste compagnie. »

Car ce genre de femme finissait toujours par se lasser, à un moment ou à un autre, ou alors à être distraites par autre-chose. Elles prenaient alors congés plus ou moins poliment, parfois en parlant vaguement d’une occasion de se revoir ou d’une invitation à chanter quelque part… Ou alors elles tombaient amoureuses. Et avaient finalement le cœur brisé. Car, malgré ses longs ans, peut-être à cause d’eux, il aimait bien peu… Bien rarement, plutôt. Et, ce jour, son cœur était déjà prit, même si celle qui lui avait ravi ne l’avait point attendu…

*Oh, mon aimée…*

Il secoua doucement mais fermement la tête pour ôter ses pensées de cette voie. Ce n’était pas le moment de ce laisser aller à l’indicible tristesse, à la profonde mélancolie pourtant toujours teintée d’amour qui le prenait quand il pensait à elle. Plus tard, quand il chanterait, viendrait un moment où ses chants se feraient tristes, où il s’abandonnerait. Mais pas maintenant, non pas…

« C’est un bien plaisant labyrinthe, Dame… En connaissez-vous déjà tous les sentiers, dites-moi ? »