D'un monstre à l'autre [Guenièvre]

La forêt avait été plus facile à quitter qu'il ne l'avait pensé au premier abord. Quoiqu'en ait dit Arthur, Guenièvre était tout de même une cavalière assez expérimentée pour avoir réussi cette cavalcade. Fuir un bisclaveret n'est pas quelque chose que l'on fait tous les jours.

Accolon ne s'était pas retourné une seule fois pour voir comment Arthur se débrouillait face au monstre dans la chapelle. Il s'en tenait au plan, et il plaquait Guenivère contre la croupe du destrier pour qu'elle puisse éviter les branches - le traître se protégeait comme il pouvait de son autre bras tout en gardant un oeil sur le tracé à suivre.

Le destrier avait été un peu paniqué par l'arrivée du monstre, et en plus ce n'était pas Arthur qui le chevauchait... à la vitesse à laquelle il fonçait au travers de la forêt, Accolon devait parfois se faire violent avec lui, brisant son élan d'un coup de rênes ou le forçant à tourner contre son gré.

La plupart des racines et des grandes branches furent évitées, mais aucun doute sur le fait que le destrier aurait besoin de soins par la suite... et Accolon aussi.

Trottant maintenant un peu plus paisiblement dans les plaines, Accolon se redressa et stoppa son emprise sur Guenièvre. Le traître examina la reine, sa robe était totalement fichue mais la jeune femme semblait en bonne forme globalement.

Le Chevalier de la Fée ferma les yeux et se laissa bercer par la marche de l'équidé... il était heureux de pouvoir souffler enfin... puis il se sentit partir sur le côté, et dû attraper les rênes de son autre main pour ne pas tomber. Accolon secoua la tête pour rester éveillé. La conversation l'aiderait sûrement.

- Ne vous en faîtes pas pour Arthur... avec Excalibur en main, il est invicible. Je suis désolé si je vous ais brusqué lors de cette chevauchée, mais c'était nécessaire.

Accolon avait donc encore des manières. Il parlait un peu sans trop réfléchir en fait, et son éducation noble et sa chevalerie ressortait naturellement. Le fait est que les paroles d'Arthur tournaient dans sa tête... revenir parmi les chevaliers de la Table Ronde... quelle belle farce ! Hahaha ! Arthur vivait dans un monde idyllique ! ... il en avait bien de la chance.

Un léger sourire se dessina sur les lèvres du traître. La reine dans toute sa splendeur et sa retenue. Accolon devrait forcer un peu plus le dialogue, sinon il perdrait conscience à coup sûr. Et s'il avait assez confiance dans la sottise d'Arthur pour ne pas l'avoir achevé plus tôt, il ne connaissait pas assez Guenièvre pour se permettre d'être totalement sans défense face à elle. Arthur avait peur qu'il n'emmène sa reine au château de Morgane ? Hey, petit roi, ouvre les yeux ! Accolon espérait surtout que l'inverse ne se produise pas : il n'avait aucune envie que Guenièvre ne le ramène à Caamelot !

- Vous parlez avec distance... "seigneur pendragon", est-ce toujours ainsi ou vous intimiderais-je ? Le Chevalier de Morgane préféra enchainer directement... La situation est des plus cocasses je l'avoue, la reine de bretagne chevauchant avec le stratège des traîtres... comment pensez-vous que tout cela va finir ? Etes-vous comme Arthur, prête à me laisser partir simplement en échange de la futile promesse d'une rédemption ?

Accolon se pencha sur le côté pour cracher un peu de sang. La chevauchée à vive allure avait dû rouvrir quelques blessures... rien de trop grave espérait-il, selon son auto-analyse, il ne pensait pas que ses jours étaient menacés... il manquait tout simplement de forces, un effort brutal ou une poussée d'adrénaline amélioreraient bien les choses sur le cours terme mais...

Le traître se rassura quelque peu. Il était dans le dos de Guenièvre, et ce n'était "qu'une" reine après toute, pas une guerrière... si la nécessité survenait, l'assomer ne devrait pas être très compliqué, non ?

- Hahahaha, c'est bien vrai ! Le pire dans tout ça était peut-être que le rire d'Accolon avait été totalement franc et sincère. Pas de machiavélisme, ni de sadisme, on aurait entendu ce même rire en partageant un trait d'esprit avec un ami. Au moins, vous semblez plus lucide qu'Arthur sur ce point mais laissez-moi rectifier quelque peu. Je ne suis *PAS* un ennemi de ce pays, je suis un ennemi de votre mari et de ses suivants. Tout comme vous, je ne désire pas mettre la Bretagne à feu et à sang... il n'y a aucun intérêt à conquérir un pays en ruine...

Accolon s'était embarqué dans un sujet qu'il regrettait peut-être... sa voix déclinait au fur et à mesure qu'il parlait, comme s'il doutait de ses propres mots. Se considérer soi-même ainsi était une chose, mais quand serait-il si Morgane n'était pas du même avis ? La poigne du chevalier sur les rênes se resserra de fureur, et c'est avec une pointe d'agressivité qu'il contourna le sujet.

- Enfin, au moins votre réponse m'éclaire sur la marche à suivre. Je vous laisse dès le premier village en vue, mais pas plus près. Pas envie de devoir me battre si vous vous décidiez à appeler des manants pour me capturer.

Le traître préféra taire le fait qu'ils soient sortis de la forêt par un chemin qui n'en était pas un. Les étoiles de ce début de soirées se faisaient assez timides - ce qui n'était pas trop étonnant vu l'orage qui avait éclaté plus tôt à la chapelle - et il était ainsi difficile de s'orienter. Ils avaient chevauché quoi depuis la sortie de la forêt ? Une demi-heure ? Moins ? Plus ? Aucune trace de civilisation en tout cas, et Accolon guidait toujours le cheval, mais c'était lui le cavalier non ? L'allure était lente, mais c'était normal n'est-ce pas ?

La nuit continuait sa course vers le jour tandis que les deux cavaliers avançaient inexorablement dans une direction... incertaine. Accolon était resté silencieux suite aux paroles de Guenièvre, mais il n'avait aucunemVent changé le cap de leur monture. L'ambiance était plus pesante, et on aurait dit que le traître se laissait guider par le cheval. Ce dernier, plutôt paresseux et fatigué après avoir porté 2 humains dans une course effrénée en forêt, décida plutôt de s'arrêter et de faire une pause.
Accolon soupira et leva les yeux vers le ciel, scrutant les étoiles.

- Mmm, si l'on remonte vers le nord-est, on est sûr de croiser des habitations... ce ne sont peut-être pas les plus proches mais au moins je suis sûr qu'il y en aura.

Le stratège des traîtres serra la bride de sa monture et la força à faire plus d'un quart de tour sur sa droite. Visiblement, si telle était bien la direction à prendre, Accolon leur avait fait perdre pas mal de temps à les diriger sur leur précédent chemin.

- ... Vous maniez bien les mots. Ce soir, Arthur et vous m'avez donné votre parole, et il serait honteux pour ma part de ne pas respecter la mienne. Je vais vous ramener à bon port, pardonnez mes manigances précédentes.

Accolon avait perdu un peu de son entrain, et il semblait plutôt résigné. La marche à suivre, ramener Guenièvre. Qu'avait-il vraiment à y gagner ? La certitude qu'elle ne l'achève pas - dans son état, Accolon n'était pas vraiment sûr de pouvoir porter une captive résistante ? Le respect renouvelé d'Arthur - pourrait-il seulement s'en servir ?
L'amant de la Fée trouvait le destin bien ironique : lorsqu'il était au service d'Arthur, Accolon n'aurait jamais hésité à renié sa parole pour destabilisé un ennemi, alors pourquoi hésitait-il maintenant qu'il avait changé de camp ? Le vieux stratège se promit que cet écart ne se reproduirait plus.

Un village finit par apparaître, et ils s'en rapprochèrent petit à petit. Accolon s'arrêta à bonne distance. Le traître s'éclaircit la voix.

- Je ne vais pas plus loin. Si l'on me reconnait, qui sait quel jeune fou décidera de me sauter à la gorge pour empocher la prime sur ma tête, même malgré toute votre bonne volonté ? L'amant de la Fée passa une main dans ses cheveux. Je resterais ici pour voir si tout se passe bien. Vous avez quelque chose prouvant que vous êtes la reine ? De l'argent pour louer un cheval pour rentrer à Caamelot ?

Guenièvre devra sûrement marcher cinq bonnes minutes pour atteindre les habitations. Accolon pouvait bien attendre pendant ce temps. Il se reposerait. Il avait encore une longue route à faire, ce ne serait pas du temps perdu.

Sujet: Re: D'un monstre à l'autre [Guenièvre]

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